Damnation ou rédemption : Hell.com de Patrick Sénécal


La lecture du dernier roman de Patrick Sénécal, Hell.com est loin d'être une ballade à la campagne. En fait, c'est plutôt un chemin de croix en Enfer. Est-ce une qualité ou un défaut ? Cela dépendra de votre point de vue.

Hell.com raconte l'histoire de Daniel Saul, un milliardaire québécois qui se fait initier à un site web privé qui permet aux (très) riches d'accéder à tous les vices possibles et imaginables, que ce soit le sexe, la drogue, le jeu ou la violence. Le site permet de participer à de nombreuses activités illégales qui vont du bénin (orgies) jusqu'au pire (séances de torture et autres). La première moitié du roman raconte la descente de Saul dans un engrenage de perversions. La deuxième moitié raconte sa tentative de rédemption. Sénécal y aborde des thèmes qu'il a déjà traités, comme le vide intérieur et le désir de l'homme de toujours aller plus loin dans le vice. Cependant, le thème central du roman est la relation d'un père avec son fils. Hell.com est un peu comme un hybride entre un film de torture porn et le film Père de famille, avec Nicolas Cage.

Damnation

Même si le style de Sénécal est toujours aussi efficace pour accrocher le lecteur, je ne peux pas dire que la lecture de ce roman est agréable. Oui, les 50 premières pages sont accrocheuses et excellentes, mais les 200 pages suivantes sont plutôt fastidieuses. Daniel Saul y découvre l'étendue de Hell.com et participe à des activités de plus en plus extrêmes. Pendant ces pages, il suit (passivement) la maxime suivante : "Il ne s'agit pas de ce que tu veux faire, mais de ce que tu peux faire." Il ne veut pas vraiment agir comme il le fait, mais il se laisse entraîner parce qu'il veut se sentir plus puissant que les simples mortels. Évidemment, il fait cela au détriment de ses proches, surtout de son fils.

Il y a deux problèmes avec cette partie du roman. Premièrement, le personnage décrit auparavant comme un homme intelligent et en contrôle devient un imbécile fini se plaignant de ce qui lui arrive sans y réagir autrement qu'en s'y enfonçant plus profondément. Deuxièmement, Sénécal aligne les scènes dégoûtantes les unes après les autres (ce n'est pas ça le problème) sans aucune émotion (c'est un peu ça le problème), mais avec un fond moralisateur insistant. Et c'est là où échoue l'auteur dans ce livre, c'est-à-dire qu'il n'arrive pas à présenter les actes répréhensibles que perpètre Saul autrement que sous un jour moralisateur. On le voit clairement (l'auteur), avec ses grosses bottes souillées de sang, placer les éléments qui lui serviront à bien mettre en évidence les thèmes qu'il souhaite développer. Le père de Saul qui tombe malade, son fils de plus en plus rebelle, et j'en passe. Bref, cette portion du roman est loin d'être une réussite.

Rédemption

Puis, est arrivée la scène pivot du roman, celle où le personnage principal change son point de vue et se rend compte de tout ce qu'il a fait. C'est loin d'être la première scène d'horreur du roman, mais c'est la première fois que j'ai vraiment ressenti une émotion. Ce qui se passe est atroce et ça l'est encore plus du point de vue qu'on le regarde. En lisant cette scène, j'étais partagé entre mon empathie pour le personnage et mon plaisir de découvrir, enfin, une scène d'horreur qui fonctionnait.

À partir de là, le roman s'est grandement amélioré. Sénécal a réussi à rendre sa morale plus subtile. Les scènes d'horreur sont justifiées et suscitent des émotions chez les personnages et, enfin !, chez le lecteur. J'avoue qu'il y a certains rebondissements qui sont plus ou moins crédibles, mais malgré cela la dernière moitié du roman est, en mon sens, une réussite. Quand j'ai finalement fermé le livre, j'étais satisfait de ma lecture, et la finale de ce roman a laissé des traces dans mon esprit, ce qui est souhaitable quand un roman cherche à faire réfléchir. Comme critique générale, je suis tenté de dire que Sénécal s'est damné avec la première moitié de son roman, mais qu'il s'est sauvé avec la seconde.

Lisez le parce que vous le voulez, pas parce que vous le pouvez

Au final, je ne recommande pas ce roman d'emblée. C'est un bon roman, mais c'est loin d'être un roman léger. Si vous ne voulez pas vous embarquer dans une lecture qui est un peu comme un pèlerinage en Enfer (pas nécessairement dans le sens positif que l'on pourrait employer quand on parle d'un roman d'horreur), ne lisez pas Hell.com. N'offrez pas ce roman en cadeau non plus, car le lire devrait être une décision personnelle et éclairée. Surtout, ne commencez pas Hell.com pour l'arrêter en plein milieu car, même si près de la moitié du roman échoue, elle prépare quand même bien la fin du roman, et cette dernière est très réussie.

4 commentaires:

  1. Je devrais le commencer cette semaine. Tu n'es pas le premier À stipuler que la première partie n'est pas garante de la deuxième. Moi, je suis prêt pour partir en enfer. Parce que je le peux mais surtout parce que je le veux ;)

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  2. Je ne sais pas si je suis en plein bad trip, mais il a un truc particulièrement intéressant avec le nom des personnages... J'ai remarqué que parfois, il y a des référence cachée dans les romans de Sénécal (comme le nom de la rue ou Charles habite, qui s'appelle Dogdson...)

    Daniel Saul
    C'est subtile, mais en mis en relation avec l'autre personnage...Déjà, le diminutif de Daniel, c'est Dan. Diminutif qui ressemble au mot anglais damn (damné). Le nom de famille est Saul, qui à l'oreille se rapproche du mot anglais soul (ame). Le nom du personnage est littéralement Ame Damné.


    Martin Charron

    Charron est la personne qui introduit Daniel à Hell.com (donc, aux Enfers). La référence dans son nom est plus évidente que pour l'autre personnage...mais il fallait le voir. Dans la mythologie grecque, Charon est le passeur d'âme, celui qui conduisait les défunts par delà le Styx, le royaume d'Hadès, qu'on appellait les Enfers.

    Est-ce un délire?

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  3. Bonjour M. Anonyme,

    Analyse très intéressante. Je suis d'accord avec toi pour Charron. Pour Saul, je crois que c'est plus une référence biblique. Pourquoi ne pas simplement poser la question à Senécal sur twitter? @patsenecal

    FR

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