L'âme des mots

Je suis accueilli par un libraire habillé de vêtements qui n’étaient déjà plus à la mode dans les années ’20. Cet étrange personnage se prend pour Howard Phillip Lovecraft. Derrière son comptoir, il passe sa journée à gribouiller dans un carnet, sauf quand un client lui demande des conseils, moment où il libère toute sa connaissance et son amour des livres pour lui faire découvrir des merveilles.

Et sa librairie est à son image ; les étagères coloniales seraient empoussiérées si sa vieille tante ne passait pas ses journées à faire le ménage. Étrange qu’une femme qui ne sait pas lire passe ses journées à entretenir une librairie. Sur le bois massif, on trouve un peu de tout, mais peu de nouveauté. Juste de la littérature exceptionnelle, sans discrimination de genre, de provenance ou d’époque. Quand on prend un livre sur une tablette, on sait que c’est une œuvre de qualité et que, même si ce n’est peut-être pas le livre idéal pour nous, c’est celui de quelqu’un d’autre.

Ainsi, le contenu des étals est varié et classé selon un système qui pourrait sembler obscur de prime abord, mais qui étrangement facilite les découvertes littéraires. Les livres ne sont pas classés par pays ou par genre, mais plutôt par ce qui les définit. Certains sont classés par ambiance. D’autres sont classés par des émotions. D’autres encore sont répertoriés selon l’âge qu’ils font ressentir au lecteur. Le libraire a bien compris que quand on cherche un livre, on cherche souvent une sensation et que c’est selon ces critères que l’on devrait flâner dans les rayons. Heureusement, une borne informatique (dont l’esthétique a été retravaillée pour se fondre au décor) permet d’identifier dans quelle section se trouve un livre précis.

Ma section favorite est, vous l’aurez deviné, celle des romans d’horreur. Évidemment, elle ne porte pas cette étiquette. Elle est plutôt définie par plusieurs mots-clés qui représentent à merveille les frissons contenus dans les œuvres originales et parfois uniques dont elle recèle : L’abîme du temps, La mort de l’âme, L’art du sang qui coule, Le monde qui meurt, L’enfance des monstres n’en sont que les exemples les moins évocateurs. Le plus agréable dans tout ça, c’est que les livres qu’on trouve dans chacune de ces sections sont sélectionnés avec soin, qu’ils soient neufs ou usagés. Certains sont dédicacés par les auteurs. On y trouve surtout des romans en français et en anglais, mais aussi quelques-uns espagnol, en italien et en allemand, comme si le libraire avait des tentacules tout autour du globe. Les éditions aussi sont choisies avec soin. Lorsque c’est possible, le libraire sélectionne les éditions les plus belles, celles qui dégagent la plus douce magie.

Chaque visite est une surprise, car on ne sait jamais quelle trouvaille nous fera découvrir un nouvel auteur, une nouvelle épouvante, une nouvelle émotion. On ne sait pas non plus quelle incongruité parsèmera les rayons, car le frère du libraire, un farceur doublé d’un artiste, a tendance à remodeler certaines sections des étagères pour accommoder ses œuvres d’art. Une fois, j’ai trouvé, dans la section Lacérations érotiques, entre les romans d’Edward Lee et de Clive Barker, la réplique stylisée d’une main coupée tenant entre ses doigts délicats un membre lui aussi détaché de son pubis originel. De même, alors que je cherchais un livre de voyage, j’ai découvert la réplique onirique d’un compas menant vers le Purgatoire. Toutes ces œuvres sont à vendre et, malgré leur qualité et leur originalité, elles sont à la portée de la majorité des clients.

Chaque visite dans L'âme des mots est une évasion, au même titre qu’ouvrir le livre qu’on y a acheté.

Pourquoi j'ai décrit cette librairie? Allez voir ici.

4 commentaires:

  1. J'aime l'idée du classement par thème flou plutôt que par catégorie fixe.

    Ma bibliothèque personnelle est classée un peu comme ça.

    ... et ça fait parfois sacrer mon chum, comme tous mes systèmes de classement ;)

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  2. Je voulais surtout retourner à l'essence du livre plutôt qu'à la notion de produit et ramener le tout à l'imagination (avec les oeuvres d'arts et les catégories excentrique) qui est un point essentiel de la littérature.

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  3. Comme la rencontre d'un parapluie et d'une machine à coudre sur une table de dissection.

    ... et là je voulais avoir l'air cultivée, mais je sais plus d'où ça sort, sinon que ça remonte à mes cours de littérature... et j'aurai pas la malhonnêteté de le chercher sur Google :p

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  4. Google me l'a dit! Ça viens des Chants du Maldoror, de Lautréamont! Un classique!

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